Comment aider un proche qui vit un deuil ?

Vulgarisation et traduction des articles scientifiques ci–dessous :

Perdre un proche, c’est aussi perdre ses repères. Pour soutenir une personne endeuillée, il existe plusieurs théories, dont le populaire modèle à 5 étapes de Kübler-Ross. Cependant, ce modèle en 5 étapes est-il une représentation trop simplifiée d’une étape de vie si complexe? Car le deuil n’est pas linéaire: toute personne le vit différemment et peut ne pas traverser toutes les étapes déni, colère, marchandage, dépression, acceptation dans un ordre précis (1). Deux modèles récents proposent plutôt un processus de deuil basé sur la mise en récit du décès.

Tout d’abord, selon le modèle de reconstruction du sens dans le deuil de Gillies et Neimeyer (2), une personne endeuillée cherchera à rebâtir sa vie pour combler le vide créé par le décès du défunt. Ainsi, c’est la détresse associée au deuil qui permet d’amorcer une recherche de sens en se posant des questions existentielles telles que Pourquoi c’est arrivé à moi? Quelle est la cause du décès? Que signifie la mort?, etc. Ce modèle suggère donc de construire un récit de l’expérience entourant le décès pour répondre à ces questionnements. Dans les mois suivant le décès, ce processus narratif permettra à la personne endeuillée de tenter de trouver une cohérence à la perte.

Le modèle de reconstruction de sens implique la mise en récit du décès permettant à la personne endeuillée de reconstruire ses objectifs de vie tout en gardant un sentiment de connexion avec le défunt.

Ainsi, les auteurs ont remarqué que la personne commence à accepter la nouvelle réalité liée au deuil si elle aboutit à des réponses semblables à: la mort est une étape de la vie; mon proche était malade; ce n’est pas arrivé à moi, c’est simplement arrivé. Au contraire, un sentiment de culpabilité, le blâme de la mort de son proche, notamment, est un indice d’un deuil plus complexe, plus difficile qui devra être soutenu par des services appropriés. Par exemple, une thérapie peut apporter un soutien additionnel pour l’expression des émotions afin que la personne change sa perspective du décès et amorce une croissance personnelle. En résumé, la mise en récit permettra à la personne endeuillée de reconstruire ses objectifs de vie tout en gardant un sentiment de connexion avec le défunt, c’est ce que le modèle appelle la reconstruction de sens. Bien que les implications cliniques soient encore peu étudiées, ce modèle permet d’orienter l’intervenant en deuil concernant le risque de complications, l’élaboration du diagnostic et le plan de traitement.

Schéma

Ensuite, le modèle d’ajustement au deuil en double processus de Stroebe et Schut (3) fait également référence à un récit à propos du défunt. La mise en récit du deuil se fera en s’orientant à la perte (loss-oriented) ou à la récupération (restoration-oriented). D’un côté, la personne endeuillée s’oriente à la perte en essayant d’interpréter la vie et la mort du défunt. Par exemple, elle discute avec son entourage d’anecdotes à propos du défunt ou des circonstances du décès ou suit une thérapie pour parler à propos du défunt sans la peur de se faire juger par ses proches ou pour partager ses pleurs et ses désespoirs.L’équilibre à trouver entre la prise de parole et la rumination est important pour la guérison. D’un autre côté, la personne endeuillée s’oriente à la récupération: elle apprend à gérer ses stresseurs secondaires liés au deuil. Elle se cherche de nouveaux rôles ou identités, par exemple en suivant des cours de cuisine pour s’occuper d’une tâche que le défunt avait l’habitude de faire ou au contraire faire de nouvelles choses pour se distraire du deuil, comme essayer un nouveau passe-temps, le risque étant de fuir la situation. La clé d’un deuil réussi selon ce modèle est le caractère dynamique du deuil: il y a oscillation entre la confrontation et l’évitement de la perte. L’alternance entre ces deux processus est, selon les auteurs, nécessaire pour résoudre le deuil, car elle encourage la personne à prendre des pauses de la douleur liée au deuil.

Le modèle de Stroebe et Schut met aussi de l’avant l’aspect relationnel du deuil: l’aspect intrapersonnel lié au travail de deuil dont il a été question ci-haut et l’aspect interpersonnel. En effet, le comportement des proches de la personne endeuillée peut avoir un impact tant positif que négatif sur son deuil. Par exemple, donner des conseils ou encourager la récupération à la personne endeuillée n’est pas recommandé puisque cela banalise le deuil : il est préférable qu’elle ait un contact avec une personne qui a vécu une expérience similaire, puisque cela lui permet d’exprimer ses émotions sans se sentir jugée. Le modèle reconnaît aussi que les hommes et les femmes vivent différemment un deuil. Les femmes préfèrent le partage des émotions et des sentiments, alors que les hommes accordent davantage d’importance à apprendre comment d’autres ont passé à travers ce problème (4). D’un point de vue de l’intervention, encourager les hommes à utiliser des méthodes plus féminines et vice-versa pourrait diminuer la détresse des personnes endeuillées (5).

En conclusion, ces deux modèles peuvent servir de guide pour accompagner une personne qui perd un proche. Effectivement, ils suggèrent que laisser une personne vivre et partager ses émotions sans les juger est bien plus productif que de lui conseiller de tourner la page. Un deuil peut prendre du temps, et il est important d’avoir un soutien social adéquat tout au long pour oser reconstruire son narratif de vie.

Références

[1] Kessler, D. (2016). Moving Through Grief. Psychotherapy Networker Magazine, 40, 15-17.
[2] Gillies, J. et Neimeyer, R. A. (2006). Loss, Grief, and the Search for Significance: Toward a Model of Meaning Reconstruction in Bereavement. Journal of Constructivist Psychology, 19(1), 31-65. https://doi.org/10.1080/10720530500311182

Source des figures

[3] Stroebe, M. et Schut, H. (1999). The Dual Process Model of Coping with Bereavement: Rationale and Description, Death Studies, 23(3), 197-224.
https://doi.org/10.1080/074811899201046
[4] Hopmeyer, E. et Werk, A. (1994). A Comparative Study of Family Bereavement Groups, DeathStudies, 18(3), 243-256.
[5] Schut, H. A. W., Stroebe, M., de Keijser, J., et van den Bout, J. (1997). Intervention for the Bereaved: Gender Differences in the Efficacy of Grief Counselling. British Journal of Clinical Psychology, 36(1), 63–72. https://doi.org/10.1111/j.2044-8260.1997.tb01231.x