8 mars, journée des droits des femmes : La réalité derrière les chiffres de la proche aidance

Dans l’imaginaire collectif, les proches aidants sont des femmes, qui endosseraient ce rôle naturellement, selon la logique patriarcale historique voulant que les tâches liées au soin soient dévolues aux femmes. Toutefois, les statistiques canadiennes de 2012 montrent que « seulement » 54% des proches aidants sont des femmes. Le Québec fait figure de mauvais élève en terme de parité, puisque ce sont 57,6% des proches aidants qui sont des femmes. Mais que se cache-t-il derrière ces chiffres?

 

Les femmes assurent un plus grand nombre d’heures de soutien

 

Les femmes sont plus nombreuses que les hommes à soutenir une personne mais sont moins nombreuses à soutenir 2 personnes ou plus. Cependant, la majorité des femmes proches aidantes assument beaucoup plus d’heures de soutien (plus de 4 heures hebdomadaires) que les hommes, pour qui 37,3% d’entre eux offrent une aide plus ponctuelle de moins d’une heure (28,2% des femmes).

De plus, la division des tâches liées à la proche aidance demeure trop souvent vissée à une vision traditionnelle du rôle de la femme : les soins personnels ou médicaux, les traitements et l’organisation des soins. Ce sont des tâches qu’elles accomplissent dans plus de 65% des cas une fois par semaine minimum. Et c’est sans parler de la charge mentale liée à l’organisation des soins, qui contribue à l’épuisement et à la détresse psychologique des proches aidantes.

Or, les différentes compressions dans le système de santé, les difficultés du réseau de la santé et des services sociaux à assurer les soins, notamment les soins à domicile et les listes d’attente pour des services ou de l’hébergement, créent donc une disparité de traitement entre les hommes et les femmes. Ce constat de l’impact du sous-financement des services publics sur les femmes est partagé entre autres par l’autrice Aurélie Lanctôt dans son essai « Les libéraux n’aiment pas les femmes ». Sans les femmes proches aidantes, penser que le système de santé, domaine lui aussi traversé par des enjeux féministes, serait en mesure de prendre en charge la population vulnérable du Québec est utopique.

 

L’appauvrissement des femmes proches aidantes.

 

Du fait d’être surtout en charge de l’organisation des soins, les femmes se retrouvent dans des postures inconfortables et imprévisibles liées au fonctionnement du réseau de la santé, qui n’est pas centré sur les patients, et encore moins sur leurs proches. En effet, elles doivent d’une part organiser leur horaire professionnel en fonction des contraintes de rendez-vous imposées par le milieu de la santé (on ne choisit ni le jour, ni l’heure de son rendez-vous, bien souvent on dit oui en s’estimant heureux d’obtenir une rencontre). D’autre part, ce sont bien souvent elles qui quittent le travail ou arrivent en retard quand la situation de la personne aidée se complique de manière imprévisible. Actuellement, il existe peu de mesures de conciliation responsabilité d’aidante-travail (ou étude)-famille.

Entre 2003 et 2008, la perte de revenu des femmes proches aidantes a été estimée par la chercheure Diane-Gabrielle Tremblay à 220M $, par rapport à des pertes de 116.3 M $ pour les hommes.  Réduire les heures de travail entrainerait une perte de revenu d’environ 16 000$/an pour les proches aidants de personnes non ainées et à cela s’ajoute des dépenses additionnelles de 7600$ par année, peu importe leur niveau de revenu initial. On comprend pourquoi 20% des proches aidants vivent de l’insécurité financière. Malheureusement, les femmes, d’autant plus si elles sont monoparentales, de part l’iniquité salariale qu’elles subissent, vivent plus fortement encore cet appauvrissement.

Réduire les heures de travail, c’est aussi perdre des droits, réduire les cotisations pour la retraite, et donc s’appauvrir toujours plus sur le long terme. Enfin, entre janvier et mai 2016, sur les 95 500 de Québécois qui ont arrêté leur emploi en raison d’«obligations personnelles et familiales», 77% sont des femmes.  Actuellement, il n’existe aucune mesure de compensation des pertes de revenus, aucune allocation pour tout le travail invisible que ces femmes vont prodiguer à leur proche.

 

L’urgence d’agir pour soutenir les proches aidantes et reconnaitre leurs droits

 

Soutenir un proche fait partie des solidarités collectives, il n’est pas normal qu’implicitement, le gouvernement considère que, s’il n’est pas en mesure de donner les services, un proche aidant le fera. Les proches aidants ne sont pas un filet social permettant de pallier aux insuffisance du réseau de la santé. Et les femmes proches aidantes ne sont pas un paramètre d’ajustement du budget gouvernemental. Les proches aidants représentent des forces vives qui contribuent à prodiguer des soins et des services de qualité à une population vulnérable. À cet effet, ils permettent des économies importantes pour la société québécoise. Cependant, il est essentiel de rappeler que le rôle de proche aidant est un rôle additionnel aux autres rôles tenus par ces personnes, qui entraine trop souvent de l’épuisement et de l’appauvrissement : ces conséquences ont un coût social, économique et individuel important.

En se souciant de leurs besoins, en les valorisant et les épaulant dans leurs responsabilités avec le soutien offert, on agira davantage en prévention. Face à l’épuisement des proches aidants, les organismes communautaires tels que le RANQ proclament l’urgence d’agir  sur les facteurs systémiques contribuant à la santé et au bien-être des proches aidants et, par ricochet, des personnes qu’ils soutiennent. Pour cela, nous avons ciblé 5 principes d’action permettant d’améliorer la situation de tous les proches aidants, sans discrimination, quelle que soit la situation de la personne aidée :

  1. Le choix libre, éclairé et révocable du rôle de proche aidant
  2. La reconnaissance de l’expertise des proches aidants
  3. L’évaluation complète, systématique, continue et distincte des besoins des proches aidants en vue d’offrir des services adaptés et continus
  4.  La lutte contre l’appauvrissement des proches aidants
  5. Le développement des connaissances et le soutien de l’expertise et du leadership des organismes pour les proches aidants

 

  • Pour connaitre le détail de ces 5 principes et leurs recommandations, lisez notre stratégie nationale de soutien aux proches aidants: Valoriser et épauler les proches aidants, ces alliés incontournables pour un Québec équitable.
  • Pour en savoir plus sur les femmes et la proche aidance retrouvez l’avis soumis au Conseil du Statut de la Femme

 

Crédit photo: Le Collectif 8 mars. Agence : UPPERKUT. Direction artistique et design graphique : Noémie Darveau.