Proches aidants : idées suicidaires et homicidaires

« Vous me demandez mes idées de suicide, mais vous ne me demandez pas si j’ai pensé à le tuer »

Les facteurs entrainant le suicide chez les personnes proches aidantes est plutôt bien documenté, avec par exemple une personne proche aidante de personne ayant une démence sur 6 qui y a sérieusement pensé, et un cinquième d’entre elles risquant de passer effectivement à l’acte. Les données suggèrent que les homicides provoqués par des personnes de plus de 65 ans ont plus de probabilité de se terminer par un suicide et même que ce suicide était la première intention du responsable.

Cependant, avoir des idées d’homicide ne veut pas dire passage à l’acte!
Lors d’une étude précédente sur le suicide, des chercheurs australiens ont été interpellés par le commentaire d’une participante: « vous me questionnez sur mon envie de me suicider, mais vous ne me demandez pas si j’ai déjà pensé à le tuer. »
Ces mêmes chercheurs [Siobhan T.O’Dwyer et col. ] ont alors, en 2016, interrogé 21 participants de 37 à 89 ans prenant soin d’une personne avec une démence. La plupart était des conjoint-e-s qui prenaient soins de leur proche à domicile.

Les pensées d’homicide sont relativement fréquentes, et peuvent être divisées en trois catégories : l’homicide actif, la mort passive et l’euthanasie.

L’homicide actif :

Dans ces cas-ci, la personne proche aidante voit, de manière souvent très précise, comment elle s’y prendrait, pour tuer la personne dont elle a la charge. Les raisons expliquant que la personne proche aidante ne passe finalement pas à l’acte est la détermination personnelle, l’absence de stresseurs additionnels (problème de santé physique s’ajoutant à la démence), et l’implication dans d’autres activités. Bien que la prison ait plusieurs fois été citée, elle semble toutefois faciliter l’idée d’un homicide-suicide (où la personne proche aidante se suicide après avoir tué la personne aidée).
Ces scénarios peuvent apparaître lors que la personne proche aidante elle-même est agressée par la personne souffrant de démence, dans une logique d’auto-défense. Dans le cas rapporté, avoir eu ces idées a convaincu la personne proche aidante de placer la personne démente. Les autres facteurs favorisant les scénarios d’homicide sont la compassion envers la personne accompagnée, la frustration, le manque de support et l’impression que le rôle de proche aidant n’aura jamais de fin.

La mort passive :

La mort passive fait référence aux scénarios de mort par accident de la personne vivant avec une démence : tomber dans les escaliers, accident de voiture, AVC… Elle est plus souvent associée avec l’impression d’être pris au piège dans le rôle de proche aidant, avec l’isolement et le sentiment d’absurdité de la situation.

L’euthanasie :

Questionnés à propos de l’envie de tuer la personne, quatre répondants, toutes des femmes, ont orienté leur réponse autour de l’euthanasie. Elles ont justifié cette différence entre homicide et euthanasie par la compassion pour la personne démente, sa qualité de vie, sa dignité et son respect que permet cette dernière. Bien que soutenant positivement l’idée d’euthanasie, les répondants ont réfuté avoir des pensées homicidaires, malgré le manque d’option légale concernant l’euthanasie.

Le tabou au sein même des personnes proches aidantes

Bien que comprenant les idées d’homicide et reconnaissant plusieurs facteurs associés au rôle de proche aidant, certaines personnes proches aidantes pensent que ces idées sont le résultat d’un caractère déficient ou d’un trouble mental. D’autres ne semblent même pas comprendre que des personnes proches aidantes puissent avoir ce type d’idée et pensent que les pensées homicidaires sont une réaction extrême démontrant le manque de respect pour les droits et les désirs de la personne vivant avec la démence. Pourtant, ces pensées sont relativement fréquentes et résultent d’un épuisement physique et psychologique, souvent combiné à la volonté de ne pas placer la personne dans un hébergement de longue durée. Seul un participant à la recherche a parlé de ces pensées homicidaires à des professionnels, ce qui lui a permis de normaliser l’expérience et d’obtenir du soutien additionnel. Les autres craignent de ne pas être compris, et probablement, dans la même lignée que ce que démontrent les études sur la parentalité, ont peur de perdre le droit de s’occuper de leur proche.

Quelles sont les conséquences de ces idées et que faire?

Plusieurs répondants ont avoué avoir posé des gestes d’abus ou de maltraitance dans ce genre de situation de fatigue intense ou de frustration. Dans la majorité des cas, ces situations d’abus sont suivies de remords, sauf pour un participant qui ne semble pas avoir compris la nature de la démence. La reconnaissance de pensées de mort passive par plusieurs personnes proches aidantes et d’abus physiques ou verbaux pose la question de l’existence d’un continuum de pensées et d’actes. Faut-il s’inquiéter que ces personnes proches aidantes envisagent ou tentent un homicide plus tard, suivant les données scientifiques du domaine du suicide?

Même si, il est important de le répéter, ces idées homicidaires ne sont pas synonymes d’un passage à l’acte, le fait que les personnes proches aidantes vivent ces pensées est en soi préoccupant. Si nous souhaitons prévenir les homicides et les homicides-suicides, mais aussi améliorer le bien-être mental des personnes proches aidantes, il est donc nécessaire de les identifier et de les soutenir si elles sont habitées par ces pensées. Bien que les hommes soient moins nombreux à avoir des pensées d’homicide ou de mort passive, ils sont par contre proportionnellement plus nombreux à passer à l’acte et serait donc prioritaires à dépister. Il est donc nécessaire, en tant que professionnel-le de la proche aidance, de sensibiliser les personnes proches aidantes aux idées homicidaires, afin de les rendre ramener aux conséquence de la détresse psychologique, de briser le silence et l’isolement, et d’apporter du soutien additionnel. Aussi, aborder ce sujet avec une personne proche aidante en situation de détresse psychologique, loin de lui installer ce genre d’idées, permettrait au contraire de libérer la parole et de la soulager, afin de lui permettre ultimement de rééquilibrer son bien-être mental et physique.